Entretien avec Nadia Isler, Fondatrice et Directrice du SDG Lab.
Mme Nadia Isler, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le SDG Lab ?
Fondé il y a trois ans seulement, le SDG Lab est intégré à l’Office des Nations Unies à Genève, sous la supervision directe de sa Directrice Générale, Mme Tatiana Valovaya. Il utilise la neutralité de la plateforme onusienne pour incuber des partenariats et des initiatives soutenant la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable (ODDs) avec les pays engagés dans l’Agenda 2030. Notre atout est d’avoir une vue d’ensemble de la Genève Internationale et même au-delà, ce qui nous permet de rassembler des acteurs divers autour de la même table, comme par exemple des experts financiers et de développement, qui normalement ne collaborent que peu. Ensuite, tel un laboratoire, nous facilitons l’alchimie entre nos partenaires afin que leurs échanges ne soient pas stériles. Véritable levier dans l’écosystème genevois, nous connectons, rassemblons et amplifions les différentes expertises afin d’aboutir à des actions concrètes en faveur des ODDs.
« [T]el un laboratoire, nous facilitons l’alchimie entre nos partenaires afin que leurs échanges ne soient pas stériles. »
Vous avez un riche parcours professionnel et vous vous êtes réorientée plusieurs reprises, qu’est-ce qui justifie votre dernier virage vers les ODDs ?
Le fil conducteur de ma carrière a été de comprendre les défis et les opportunités des différentes institutions pour lesquelles j’ai travaillé. Après avoir débuté dans le monde des organisations non gouvernementales, j’ai eu besoin de comprendre les enjeux et les opportunités des institutions gouvernementales. J’ai donc choisi de rejoindre le Département Fédéral des Affaires Étrangères, d’abord dans la coopération au développement bilatérale en Tanzanie et au Mozambique, puis j’ai eu la chance d’œuvrer dans le monde des relations multilatérales en tant que diplomate suisse à la Mission suisse auprès des Nations Unies à New York et à Genève. Après de nombreuses années passées à représenter la Suisse aux Nations Unies, j’ai souhaité comprendre de l’intérieur les mécanismes onusiens. Avec la création du SDG Lab, j’ai pu devenir entrepreneuse au sein des Nations Unies, commençant un projet à zéro, ce qui m’a laissé une marge de manœuvre pour innover et comprendre les enjeux, les opportunités, les limites et les réalités de l’institution.
« Avec la création du SDG Lab, j’ai pu devenir entrepreneuse au sein des Nations Unies, commençant un projet à zéro, ce qui m’a laissé une marge de manœuvre pour innover et comprendre les enjeux, les opportunités, les limites et les réalités de l’institution. »
Pouvez-vous nous citer une anecdote marquante de votre parcours ?
Une chose que je retiens de mon expérience dans la diplomatie est le besoin de tout le temps tester ses hypothèses, sa « propre normalité ». Par exemple, en organisant ma première réception diplomatique à New York, j’ai invité des collègues d’autres pays et j’ai vécu un véritable « clash des cultures ». Indiquant la même heure sur les cartons d’invitations, je pensais que tout le monde arriverait en même temps. Mal m’en a pris : certains pays sont arrivés un quart d’heure à l’avance, les Suisses pile à l’heure et les représentants d’autres régions du monde avec deux heures de retard, ce qui est habituel dans leurs cultures. Je peux vous dire que mes hypothèses ont été testées pendant cette soirée où personne n’a mangé ensemble. Depuis, j’ai appris à indiquer des heures de réception différentes selon la nationalité pour que tout le monde arrive en même temps.
Quel rôle la Suisse peut-elle jouer dans le multilatéralisme du futur ?
Cela fait longtemps que la Suisse est incontournable dans le multilatéralisme grâce à sa neutralité, à sa crédibilité et à son ADN imprégné de valeurs de paix. Unique en son genre, le pays crée des ponts entre des acteurs qui en temps normal n’auraient pas travaillé ensemble, à l’instar de ce que nous faisons au SDG Lab. L’actuelle transformation du multilatéralisme, caractérisée par l’arrivée d’une plus grande variété d’acteurs autour de la table, accroîtra l’importance de la Suisse dans le futur.
« Unique en son genre, [la Suisse] crée des ponts entre des acteurs qui en temps normal n’auraient pas travaillé ensemble, à l’instar de ce que nous faisons au SDG Lab. »
Un conseil aux jeunes souhaitant se lancer dans la coopération internationale ?
Je leur dirais avant tout de rester ouverts aux occasions qui se présentent. C’est excellent d’avoir un objectif de carrière, mais il faut prendre garde à ne pas se mettre des œillères si l’on ne veut pas rater des opportunités. Aujourd’hui plus qu’avant, les étudiants cherchent à contrôler leur futur, en accumulant des certificats. C’est certes important, mais les expériences de vie et le « bourlingage » le sont aussi. Quand je recrute, ce n’est pas un « robot académique » que je cherche, mais quelqu’un qui sait faire preuve d’humilité, de remise en question, de curiosité intellectuelle et d’intelligence émotionnelle. Et pour cela, rien de tel que les expériences de terrain !
Marta Zaragoza Navarro est titulaire du bachelor en Relations Internationales de l’Université de Genève. Elle effectue actuellement un Double Master en Management Public International et Relations Internationales conjointement offert par Sciences Po Paris et l’Université de Pékin. Ses champs d’intérêt sont la diplomatie, les programmes « jeunes » ainsi que la coopération culturelle et scientifique internationale.
Guillaume Wegmüller est titulaire du bachelor en Relations Internationales de l’Université de Genève. Il effectue actuellement un Master en Économie Internationales à l’Institut des Hautes Études Internationales et de Développement (IHEID) à Genève. Ses champs d’intérêts sont la diplomatie, la géopolitique et la coopération économique internationale.